J’ai ouvert une dark kitchen en plein confinement, et ça marche…

Sortir du chemin tout tracé, Antoine en fait sa maxime. Après avoir suivi celui qui lui était quasiment prédéfini au sortir de l’école de commerce, il a retourné la table pour se lancer dans la restauration, trois mois avant le confinement.

« Issu de la classe moyenne j’ai grandi en banlieue lyonnaise. Bac mention bien en poche, j’ai le choix entre partir faire de l’athlétisme à haut niveau aux Etats-Unis ou bien intégrer une classe prépa aux grandes écoles de commerce. En bon cartésien, je choisis la prépa en me disant que le sport n’est pas chose éternelle. Fin des concours, j’intègre l’EDHEC. Au bout de 5 ans, diplômé et plein d’ambitions, j’opte pour le conseil en stratégie, ma vie professionnelle débute à Paris.

Dans ma tête je me dis que « oui, j’y suis arrivé », j’ai un bon job, ma mère est fière de moi, les sacrifices financiers pour mon école ou de rêves sportifs outre-Atlantique en valaient la peine. Mais très vite, ça me rattrape, cette envie de faire quelque chose qui m’anime véritablement avec cette ritournelle qui tourne dans ma tête : tu seras excellent dans ton travail que si celui-ci te passionne vraiment.

Ma passion, c’est l’Afrique, en tant que franco-camerounais, je suis très attaché au continent. J’ai travaillé au Cameroun dans la logistique, au Nigeria dans l’e-commerce et j’ai longtemps songé à vivre là-bas. Mais ma vie est ici, en France, alors si je ne suis pas en Afrique, autant faire venir l’Afrique à Paris.

Des débuts prometteurs
La restauration a été une évidence car elle conjuguait le fait que j’adore la bouffe et le constat sans appel que les cuisines africaines ne sont que très peu représentées dans le pays de la gastronomie. Début 2019, je quitte alors mon travail, fais mes valises – ou plutôt mon sac à dos – et part pour 6 mois de voyage à travers le Cameroun, le Nigeria, le Ghana et le Sénégal avec un fil rouge : de la terre à l’assiette. Aller à la rencontre des producteurs, arpenter les étals des marchés de Lagos à Dakar, cuisiner de longues heures avec des mamas et noter leurs secrets de cuisine… un fantastique voyage qui marque véritablement le début de l’aventure Kuti.

De retour à Pairs, je cherche un.e chef.fe afin de créer la carte que j’ai en tête. Je fais la rencontre de la talentueuse cheffe Clarence Kopogo qui m’accompagnera dans ce long développement culinaire. Début 2020, j’ai la chance de pouvoir ouvrir un pop-up au 360 Paris Music Factory. Les choses se concrétisent : un vrai restaurant, une vraie cuisine, de vrais clients. Les débuts sont plutôt prometteurs, on a rapidement des clients réguliers ce qui n’était pas évident avec un brunch africain lancée en plein mois de janvier.

Tout remettre en question
14 mars 2020, il est 20h30, Edouard Philippe, le couperet tombe : fermeture des restaurants jusqu’à nouvel ordre, la transmission du virus est devenue incontrôlable… c’est la fin du pop-up. Pour moi, ce premier confinement est l’occasion d’une pause, de faire le point sur le chemin parcouru et surtout, le moment de me concentrer sur l’ouverture de mon premier vrai restaurant, un lieu hyper expérientiel et sans livraison !

Mai 2020, alors que je viens d’intégrer la Frégate, un incubateur de restaurants, je lis cet article du BCG qui scénarise un horizon de sortie de crise sanitaire. Pour eux, sans vaccin, pas d’issue possible et compte tenu de la recherche vaccinale, des délais de production et de distribution, aucun retour à la normale avant 12 voire 24 mois. Pour moi, c’est la prise de conscience, cette situation va perdurer beaucoup plus longtemps qu’imaginé, dans quelques mois mon chômage prendra fin, la mort du projet se fait poindre à moins que je réfléchisse à un modèle « COVID proof » qui pourra vivre même si on venait à être reconfiné.

C’est alors que je creuse le sujet des « dark kitchen », un modèle que je connaissais de nom mais qui était diamétralement opposé à ce que je voulais faire. Je pose quand même l’équation : lancer un modèle de restauration rapide sans salle et 100% livraison avec un investissement limité et une demande qui serait dopée en cas de confinement mais qui perdurait après la crise, la livraison étant de plus en plus adoptée. Il était évident que c’était le modèle à lancer dans les 2-3 prochains mois.

Mon challenge ? Pénétrer un marché dominé par le triptyque « PBS » (Pizza-Burger-Sushi) avec une cuisine complètement inconnue du grand public et une marque qui n’existe pas. J’étais certains que les recettes développées avaient un bon potentiel pour la livraison mais l’approche marketing devait être repensée et surtout hyper efficace car sans lieu physique les opportunités de convaincre un client sont très réduites.

Un restaurant, c’est 1.500 aléas à la journée
Lancer un restaurant, même sans salle, est un véritable défi à la fois physique et psychologique. On est sur un métier de flux physique, loin des claviers des prestations intellectuelles. On peut recevoir 100 kilo de viande d’un coup, on range, on porte, on déballe, c’est intense. Au début, il manque toujours un truc, vous courrez à droite à gauche sans arrêt, mon scooter s’est transformé en utilitaire par nécessité. Un restaurant, c’est 1.500 aléas à la journée qu’il faut gérer en un temps record pour assurer un service midi et soir 7 jours sur 7.

Et puis il faut apprendre à gérer du personnel – ici 4 salariés – l’encadrer, le former, l’accompagner. On prend conscience que son activité fait maintenant vivre des personnes qui ont eux aussi leur vie à gérer, des loyers à payer, des prêts à rembourser, le versement des salaires est toujours un moment stressant où il ne faut pas faire d’erreur. Bref, on lance une boite et en même temps on apprend à la faire tourner, ce n’est pas toujours évident, parfois très dur, mais on sait pourquoi on s’est engagé là-dedans, on y croit et on finit toujours par trouver une solution.

Prochaine étape : un restaurant physique
Après 5 mois d’ouverture, des moments de doutes, de remise en question, les résultats sont là : Hello Afro – la marque créée pour la livraison – génère entre 80 et 100 commandes par jour pour un ticket moyen de 24 euros, on rivalise certaines semaines avec la cuisine voisine qui appartient au plus « Big » des groupes de restaurants italiens et qui a récemment lancé son « Gang » en dark kitchen. J’avoue être moi-même un peu surpris par nos chiffres, je reste prudent en me disant que la période un peu particulière que nous vivons favorise nécessairement la livraison et qu’un ralentissement est à prévoir. Mais je suis déjà très fier d’avoir réussi à promouvoir les cuisines africaines, leur terroir sur un marché a priori incompatible et je rêve de poursuivre l’aventure notamment avec l’ouverture de restaurants physiques qui pousseront encore plus loin cette découverte des cuisines et cultures africaines. »