La galette, c’est la madeleine de Proust des Bretons. Beaucoup lui imaginent des racines bretonnes alors que ses origines viennent de bien plus loin. Une certitude, les artisans crêpiers Bretons ont su lui donner ses lettres de noblesse. Plongée dans un plat bien beurré.
Foulard sur le nez, en regardant les maisons à colombages du centre historique de Rennes. Un couple de touriste se réchauffe en savourant les spécialités locales. Galette saucisse pour Marc et complète pour Lise, ces Bretons d’un jour se régalent avec le plat typique régional, la galette de blé noir. “Il y a une queue incroyable pour commander une galette. Je ne savais pas que c’était autant un succès ” sourit le jeune homme.
La galette, tradition en Bretagne
C’est une tradition, le samedi matin, les Rennais se donnent rendez-vous au cœur du marché des Lices devant les camions de galettes à emporter. Et pour tous les gourmands pas de doute, la galette est bretonne et son image est associée au drapeau de la région.
Et non ! Trop chauvins les Bretons. Beaucoup ont oublié que l’origine de cette préparation se situe bien plus loin. “Le mot galette, n’est pas forcément breton” sourit Alain-Gilles Chaussat. L’historien ruraliste spécialiste du sarrasin, l’ingrédient de base pour la recette de la galette, pose les bases. “On mange de la galette partout dans le monde et depuis des époques reculées. La galette est la forme de consommation de la farine la plus primitive”.
Made in China
Dans les ruelles du marché de Rennes, l’historien précise. “Le sarrasin a été cultivé en Asie, dans la vallée des Trois rivières en Chine dans une zone proche du Tibet”.
La graine a mis du temps pour venir en France et en Bretagne. “C’est les déplacements de population, de civils, de marchands ou des soldats que le sarrasin a été importé depuis la Chine vers l’Ouest”.
Difficile de savoir précisément quand la galette est arrivée en Bretagne. Selon l’historien, un point est certain. À la fin du 16è siècle la galette est la principale denrée alimentaire pour les Bretons. “C’était le pain du pauvre” souffle Alain-Gilles Chaussat. “Elle se mangeait épaisse, plus d’un centimètre et toujours nature. Les Bretons en préparaient une fois par semaine et ils la réchauffaient au fil des jours et la découpaient en lambeau ».
Le beurre salé, l’ingrédient qui sublime la galette
“Le premier aliment que les Bretons ont mis dessus, c’est le beurre” assure l’historien. “Au 18è siècle, ceux qui le pouvaient y mettaient un œuf pour les invités de marque”. Les premières mentions de lard ou de saucisse n’arrivent que vers la fin du 19è siècle.
Et si la Bretagne s’est rendue célèbre pour ses galettes, c’est par le talent des crêpiers et maître crêpier. “Faire reposer la pâte, la faire avec amour” rappelait Joséphine, devenue le visage des crêpières traditionnelles. À quelques billigs de Rennes, dans la crêperie “Le comptoir” dans l’intra-muros de Saint-Malo, Julien Hubert manie la rozell.
Les Malouins gourmands se rendent dans sa crêperie Breizh Café, en solo, en famille ou entre collègues. Le secret de Julien ? “Du bon beurre, des produits de saison, locaux pour une galette bien beurrée, croustillante et moelleuse”.
Tendre et craquante, pour réussir cette injonction contradictoire, le crêpier qui exerce depuis 12 ans assure qu’il faut avant tout “une farine de qualité”.
Incontournable dans la gastronomie bretonne
Pour Bertrand Larcher qui a façonné cette crêperie comme tant d’autres en Bretagne, Paris ou même au Japon, un sarrasin de qualité est l’ingrédient indispensable pour donner ses lettres de noblesse au plat typique de la région. “Le sarrasin est une plante emblématique chez nous et la galette est incontournable dans la culture gastronomique bretonne” commente le célèbre porte-drapeau de la culture sarrasin.
“La galette, c’est une cuisine traditionnelle. Le métier de crêpier fait partie de notre patrimoine comme les crêperies et les moulins”. Pour soutenir l’économie locale et s’assurer de la farine de blé noir de qualité, Bertrand Larcher fait cultiver son propre sarrasin sur des terres près de Cancale.
Le retour du blé noir en Bretagne
“On importe beaucoup de sarrasins des pays de l’Est ou du Canada” constate Alexandre Forgeoux, maraîcher dans l’exploitation agricole. Le chiffre est saisissant. Plus de 70% de la consommation de farine de sarrasin en France vient de l’étranger. En grande partie de Chine.
Le jeune agriculteur est heureux d’avoir 10 hectares de sarrasin dans son exploitation. “Au bord de mer, le sarrasin se développe très bien. Le climat en Bretagne est idéal pour la plante. Le sarrasin déteste l’humidité” sourit Alexandre.
Et pourtant le sarrasin a progressivement disparu des paysages bretons. La production de sarrasin s’est effondrée dans les années 70. En 1957, la Bretagne produisait 26 000 tonnes de blé noir. En 1972, seulement 800 tonnes.
Aujourd’hui, le sarrasin fleurit de nouveau sur le massif armoricain. “Sa culture revient sur le devant de la scène” précise le maraîcher. “Par ses intérêts écologiques, agronomiques, le sarrasin a toute sa place dans une culture durable et propre”. Car le blé noir ne nécessite ni engrais, ni pesticides pour bien se développer.
Crêpier, métier d’avenir
Période de développement de la plante, entre avril et septembre. Travail des meuniers, importance des produits locaux et de saison. Ces notions sont apprises aux futurs crêpiers. “Pour que la galette ait de l’avenir, il faut penser à la transmission” souffle Bertrand Larcher. Le célèbre crêpier a ouvert, face au port de Saint-Malo, une école pour artisan crêpier.
Des billigs en nombre, des râteaux pour étaler la pâte, des louches et des spatules en nombre, le matériel est présent en grande quantité. “Mais le plus important c’est l’humain” rappelle le maître des lieux. “Il faut des valeurs et des convictions, soigner l’accueil comme on soigne ses produits” souligne Bertrand Larcher qui a créé ce lieu pour partager son expérience.
Et c’est sans doute cela le secret qui a permis aux Bretons de s’approprier la galette. Le blé noir a trouvé en Bretagne, une terre et une météo favorable. Le sarrasin a pu s’y développer et nourrir une population pauvre. Mais surtout, au fil des siècles les maîtres crêpiers ont su sublimer leur savoir-faire pour élever au rang d’art cette cuisine. Toujours bien beurrée, gourmande et facile à partager.