Un savoir-faire qui ne doit pas disparaître

Le craquelin vient de se voir inscrit au patrimoine culturel immatériel de la France. Une reconnaissance pour ce biscuit breton de tradition comme pour les cinq entreprises qui le fabriquent en pays de Rance, dont l’atelier de Thierry Margely, à Plumaudan (Côtes-d’Armor).

Le craquelin ? Ce biscuit en forme de bol, de tradition bretonne, vient d’être inscrit au patrimoine culturel immatériel de la France. « Certains prétendent que les paysans bretons le préparaient afin de l’utiliser comme récipient lors des repas dans les champs », aime à raconter Thierry Margely, à la tête de l’atelier des craquelins Margely, basé à Plumaudan, au sud de Dinan (Côtes-d’Armor).

L’entreprise, qui emploie quatre personnes, est une histoire familiale depuis 1929. À 16 ans, Étienne, le fils de Thierry, est d’ailleurs là pour donner un coup de main durant ses vacances. « Pendant l’été, les ventes augmentent ! On expédie régulièrement nos craquelins à Paris. »

Cinq entreprises à l’œuvre
Dans l’atelier de Plumaudan, pas le temps de discuter. Les deux fours de boulanger en service sont équipés de minuteurs. Le craquelin n’attend pas. C’est presque à la seconde près qu’il faut les défourner. Ils seront aussitôt ensachés « dans des sacs en papier transparent, on a aussi gardé cette tradition ».

Cette inscription au patrimoine culturel immatériel est le résultat d’un dossier d’inscription lancé en 2022 par les cinq entreprises des bords de Rance, en Côtes-d’Armor et Ille-et-Vilaine, qui ont conservé ce savoir-faire. Outre l’atelier de Plumaudan, les Craquelins de la Baie, à Saint-Père-Marc-en-Poulet, les Craquelins Bellier, à Pleudihen-sur-Rance, les Craquelins de Saint-Malo et le Petit Craquelin, à Fréhel, sont de la partie. « Mais chacun a conservé ses secrets et ses procédés, ajoute Thierry Margely. Notre craquelin est un peu plus mousseux. »

Une fabrication du Moyen Âge
Cœur Émeraude, qui porte le futur parc naturel régional, a aussi défendu le dossier. « L’histoire de ces biscuits, au goût unique, remonterait au Moyen Âge. Ils étaient également appréciés des Terre-Neuvas, qui les emportaient sur leurs bateaux, précise Dominique Mélec, technicien de l’association. Les marins les conservaient pendant des mois dans des sacs en toile de lin. Ce savoir-faire ne doit pas disparaître. »

Aujourd’hui, le craquelin a ses inconditionnels au petit-déjeuner. Pour autant, Thierry Margely n’a pas attendu cette reconnaissance pour diversifier sa production. « Mon père avait lancé le mini-craquelin, idéal pour l’apéritif. Ils représentent désormais 40 % de notre production. Et nous préparons aussi une recette de craquelins au blé noir. »

Adoré ou détesté, le craquelin veut retrouver son lustre passé

Un livre retrace la riche histoire de ce biscuit ancestral qui est toujours consommé en Bretagne

Il est bien moins connu que le kouign-amann ou le far. Bien moins riche en beurre aussi. Le craquelin, sorte de biscotte bretonne, fait pourtant partie du patrimoine culinaire de la région. S’il reste toujours consommé en Bretagne, le craquelin a toutefois perdu de son croquant au fil des années. « C’est comme quand une langue meurt, la tradition s’est perdue », souligne Christophe Penot.

Auteur d’une soixantaine d’ouvrages, l’écrivain malouin a souhaité rendre ses lettres de noblesse à ce biscuit échaudé, d’abord cuit à l’eau puis au four, dont il est devenu accro. « J’en mange une dizaine par jour, au petit-déjeuner avec du beurre ou pendant les repas à la place du pain », indique-t-il. Dans La fabuleuse histoire des craquelins, qui vient de sortir aux éditions Cristel, Christophe Penot retrace la riche histoire de ce vieux biscuit dont on trouve trace dès le Moyen Age.

Il ne reste plus que cinq fabricants dans la vallée de la Rance
Considéré à l’époque comme une gourmandise, le craquelin n’avait alors rien de breton puisqu’on en consommait dans toute l’Europe, « de Brest jusqu’à Moscou ». Mais c’est en Bretagne que le craquelin, qui a la forme d’un disque à bords relevés, s’est ancré. Au début du XXe siècle, on comptait ainsi encore des centaines de craqueliniers dans le Grand Ouest. Ils ne sont désormais plus que cinq, tous implantés dans la vallée de la Rance entre Dinan et Saint-Malo.

Comment expliquer ce désamour ? « L’alimentation et les goûts ont changé », résume simplement Christophe Penot. Car même en Bretagne, le craquelin ne fait pas consensus, bon nombre de personnes le trouvant fade. « Ce n’est pas un produit qui flatte le palais mais plutôt l’imaginaire », souligne l’auteur.

« Une madeleine de Proust pour plusieurs générations de Bretons »
A l’heure de la mondialisation dans nos assiettes, le biscuit, fait à base de farine de blé, d’œufs, d’eau et de malt d’orge, souffre en effet une image un peu vieillotte. « Dans l’esprit de beaucoup de gens, le craquelin est un produit d’hier qu’on mangeait à l’époque de nos grands-parents ou de nos parents », indique Régis Boiron, président des Craquelins de Saint-Malo. « Mais non, c’est un produit d’aujourd’hui, qui est en plus du terroir et qui est très riche d’un point de vue nutritionnel », poursuit dirigeant de la PME, leader sur le marché du craquelin avec 17 millions d’unités vendues chaque année.

Avec ses concurrents et néanmoins amis, Régis Boiron mise beaucoup sur la dimension affective du produit qui fleure bon le goût de l’enfance. « C’est un peu comme une madeleine de Proust pour plusieurs générations de Bretons et de Bretonnes, ça évoque tout de suite un heureux souvenir en famille », souligne-t-il.

Pour toucher de nouveaux consommateurs, Régis Boiron a également élargi sa gamme de produits en lançant des craquelins en format réduit pour l’apéritif ou des craquelins gourmands au caramel ou au chocolat. « On n’a pas le choix de s’adapter au marché pour faire perdurer le craquelin », assure-t-il.